Procédures amiables et préventives
Lorsqu'une entreprise rencontre des difficultés, il est important de prendre rapidement conscience de la nature et de l'ampleur de ces difficultés en faisant le diagnostic de l'entreprise. L'objectif est de réussir à les détecter le plus tôt possible afin d'éviter le dépôt de bilan et de pouvoir bénéficier des procédures de prévention des difficultés.
Les procédures préventives concernent des entreprises en difficulté qui, de leur propre initiative, sollicitent la juridiction compétente (tribunal de commerce ou tribunal judiciaire) pour l'ouverture d'une procédure dite préventive ou de négociation.
Dans le cadre de ces procédures, les parties appelées à la négociation agissent librement et ne sont pas contraintes par une décision du tribunal.
Procédure d'alerte
Pour savoir si une entreprise est en difficulté, un diagnostic est indispensable. Ce dernier peut être mené par :
Des tiers et porté à la connaissance du dirigeant au travers d'alertes,
Des organismes dédiés, à la demande du dirigeant,
Par le dirigeant lui-même au travers d'un outil d'auto-diagnostic.
Définition :
La procédure d'alerte est un mécanisme préventif prévu par la loi.
L'objectif de l'alerte est d'éviter que les problèmes économiques ou sociaux de l'entreprise deviennent irrémédiables : elle attire l'attention des dirigeants afin qu'ils puissent décider de mesures en vue de redresser la situation.
Les dispositifs d'alerte sont internes ou externes à l'entreprise :
Dispositifs internes | Dispositifs externes |
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À l'initiative :
| À l'initiative :
|
Mise en œuvre immédiate (dès qu'il a été démontré par des faits ou des chiffres que le bon déroulement de l'activité est menacé), avant la désignation d'un conciliateur ou d'un mandataire ad hoc et à fortiori avant la cessation des paiements. |
Les spécificités des alertes
L'alerte du commissaire aux comptes
Dans le cadre de sa mission d'audit légal, le commissaire aux comptes doit :
Alerter les dirigeants de l'entreprise lorsqu'il constate des faits susceptibles de compromettre la continuité de l'exploitation.
Informer le président du tribunal de commerce, s'il estime que les décisions ne sont pas prises dans l'intérêt de l'entreprise.
L'alerte « économique » émanant du Comité Social et Économique (CSE)
Selon l'article L. 2312-63 du Code du travail, le CSE peut exercer son droit d'alerte « économique ».
En présence de faits compromettant la situation économique de l'entreprise, le CSE peut demander des explications à l'employeur. Si les réponses sont considérées comme insuffisantes ou si le caractère préoccupant de la situation est confirmé, le CSE rédige un rapport confidentiel qu'il transmet à l'employeur et au commissaire aux comptes.
L'alerte donnée par les associés
Dans le cadre d'une SARL, les associés non-gérants peuvent interroger le gérant sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation.
Dans le cadre d'une Société Anonyme (SA), cette même faculté est accordée aux actionnaires représentant au moins 5 % du capital, deux fois par exercice.
La réponse formulée par les dirigeants est communiquée au commissaire aux comptes.
L'alerte par le président du tribunal de commerce (article L. 611-2 du Code de commerce)
Lorsque le président du tribunal de commerce a connaissance (par les registres du greffe ou le commissaire aux comptes) de difficultés importantes, il peut convoquer le dirigeant à un entretien.
L'objectif est d'envisager des mesures permettant de redresser la situation.
Cette procédure est confidentielle, sans publication.
À l'issue de l'entretien, plusieurs cas de figure sont possibles :
Dossier classé : les mesures proposées par le dirigeant pour redresser la situation sont probantes.
Dossier suivi par le président du tribunal : les mesures envisagées ne sont pas suffisantes.
Nomination d'un mandataire ad hoc ou d'un conciliateur : sur demande du dirigeant.
Constat de la cessation des paiements : le président du tribunal invite le dirigeant à procéder à la déclaration de cessation des paiements en saisissant le tribunal d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
Si le dirigeant ne se présente pas à l'entretien, le président peut se faire communiquer par un certain nombre d'acteurs des renseignements de nature à lui donner une exacte information de la situation économique et financière du débiteur (par les commissaires aux comptes, les membres et représentants du personnel, les administrations publiques, les organismes de sécurité et de prévoyance sociale et par les services chargés de la centralisation des risques bancaires et des incidents de paiement).
Outil d'autodiagnostic des difficultés
Plusieurs associations et organismes ont pour vocation d'aider les chefs d'entreprise à établir un diagnostic des difficultés rencontrées par leur entreprise. C'est le cas notamment du CIP (Centre d'Information sur la Prévention des difficultés des entreprises) ou des Groupements de Préventions Agréés (GPA), qui proposent d'analyser la situation financière de leurs adhérents pour détecter d'éventuelles difficultés et les orienter vers les procédures de prévention des difficultés adaptées. Le dispositif GPA est le premier moyen prévu dans le livre VI du Code de commerce (article L. 611-1) pour prévenir les difficultés des entreprises.
Le dirigeant, lui-même, peut aussi anticiper la survenance de difficultés, lorsqu'il constate par exemple une difficulté à payer les salaires ou un retard dans le paiement des fournisseurs.
Méthode :
Publié sur internet par le CIP (Centre d'Information sur la Prévention des difficultés des Entreprises), un outil d'autodiagnostic permet, sans éléments chiffrés, d'évaluer en ligne le niveau de difficulté auquel est confrontée une entreprise.
Sous forme de quiz, cet outil est sans éléments chiffrés et n'est basé que sur les seules relations de l'entreprise avec les tiers.
Les résultats obtenus au quiz démontrent simplement le niveau de difficulté auquel est confrontée l'entreprise et permettent d'envisager les premières solutions à mettre en œuvre.
Il a été conçu pour répondre aux situations suivantes :
Le chef d'entreprise de PME est souvent peu doté d'outils d'appréciation hormis ses tableaux de bord quand il en a.
Les tiers, banquiers, salariés, clients, fournisseurs, créanciers privilégiés lui envoient régulièrement des signaux sur leur perception de son entreprise.
L'expert-comptable n'a qu'une connaissance « imparfaite » de l'état réel des relations du chef d'entreprise avec ses tiers, puisque cet état ne ressort pas toujours de la seule comptabilité.
Exemple :
Source : Diagnostic-CIP
Mandat ad hoc
Définition :
Lorsqu'une entreprise connaît des difficultés juridiques, économiques et/ou financières, mais sans être en état de cessation des paiements, son dirigeant peut saisir le Tribunal de Commerce ou le tribunal judiciaire du lieu du siège de son entreprise, en vue de la désignation d'un mandataire ad hoc. Cette saisine intervient par voie de requête.
Il s'agit d'une procédure :
Liée à toute difficulté financière (retard dans les paiements auprès des fournisseurs, des inscriptions au privilège, etc.) mais sans cessation des paiements.
Strictement confidentielle : les tiers ne sont pas informés (à l'exception du président du tribunal).
Sans dessaisissement des pouvoirs de gestion et de direction : le chef d'entreprise demeure le maître de son affaire.
Applicable à toutes les entreprises : commerciales, artisanales, agricoles ou libérales (personnes physiques ou morales), aux associations, micro-entrepreneurs, Entrepreneurs Individuels à Responsabilité Limitée (EIRL).
Rôle du mandataire ad hoc
Le mandataire ad hoc est très souvent un expert indépendant. Il dispose de compétences techniques, de connaissances approfondies des obligations juridiques, comptables et financières des entreprises, et bénéficie d'une expérience en gestion des crises et conflits individuels ou collectifs.
Les missions confiées au mandataire consistent à :
Prioritairement | En complément |
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Aider l'entreprise en difficulté ainsi que son dirigeant à rechercher et à trouver un accord avec les principaux créanciers. Objectifs :
| Résoudre toute sorte de difficulté de l'entreprise et l'aider à passer un cap difficile (exemple : en l'assistant dans la mise en œuvre d'une restructuration juridique ou dans la recherche de capitaux en vue de la reconstitution de ses fonds propres, en l'aidant à résoudre un litige entre associés pouvant entraîner la paralysie de l'entreprise, etc.). |
La mission du mandataire ad hoc doit être précisée dans la requête.
La requête
Le débiteur, généralement aidé par un avocat, doit déposer au président du tribunal compétent une requête écrite et motivée qui comporte :
Une présentation de l'entreprise (caractéristiques, activité, emploi, chiffre d'affaires et résultats),
Un exposé des difficultés rencontrées,
Un descriptif des mesures à prendre pour le redressement (restructuration, délai de paiement ou remises de dettes).
Dans sa requête, le débiteur peut proposer le nom d'un mandataire ad hoc.
La requête est présentée au président du tribunal qui statue par voie d'ordonnance : il accepte ou non de faire droit à la requête.
Si la réponse est positive, l'ordonnance désigne le mandataire ad hoc. Elle fixe l'étendue et la durée de la mission et éventuellement les conditions de rémunération.
Issue de la procédure
La mission du mandataire ad hoc est généralement de 3 mois, renouvelable plusieurs fois sans limitation de durée.
Le mandat ad hoc se termine lorsque le mandataire parvient à un accord, consacré par un protocole (les obligations respectives des parties signataires sont fixées). L'accord n'a de force obligatoire qu'à l'égard de ses seuls signataires et n'est donc opposable qu'à ces derniers, conformément au droit commun des contrats.
Le mandat ad hoc peut également prendre fin :
S'il est interrompu par le débiteur,
Si la négociation avec les créanciers échoue,
En cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire (si cette ouverture est postérieure à l'adoption de l'accord, elle met fin à l'accord négocié).
Le mandat ad hoc est souvent utilisé comme préalable à la procédure de conciliation ou de sauvegarde.
Conciliation
Texte légal : Définition
Article L. 611-4
« Il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours. »
Article L. 611-5
« La procédure de conciliation est applicable, dans les mêmes conditions, aux personnes morales de droit privé et aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. Pour l'application du présent article, le tribunal judiciaire est compétent et son président exerce les mêmes pouvoirs que ceux attribués au président du tribunal de commerce.
La procédure de conciliation n'est pas applicable aux personnes exerçant une activité agricole définie à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime qui bénéficient de la procédure prévue aux articles L. 351-1 à L. 351-7 du même code. ».
Texte légal :
Il s'agit en conséquence d'une procédure :
Liée à des difficultés juridiques, économiques ou financières avérées ou prévisibles. L'état de cessation des paiements est possible : il doit être récent de moins de 45 jours.
Strictement confidentielle : les tiers ne sont pas informés (à l'exception du président du tribunal).
Sans dessaisissement des pouvoirs de gestion et de direction : le chef d'entreprise demeure le maître de son affaire.
Applicable à toutes les entreprises : commerciales, artisanales, ou libérales (personnes physiques ou morales), aux associations, micro-entrepreneurs, Entrepreneurs Individuels à Responsabilité Limitée (EIRL).
Remarque :
Les sociétés agricoles ne sont pas éligibles à la procédure de conciliation. Elles bénéficient de la procédure de « règlement amiable agricole ».
L'initiative de la procédure
La conciliation est ouverte sur requête du dirigeant, adressée au président du tribunal compétent et dans laquelle il expose ses difficultés juridiques, économiques ou financières, que celles-ci soient avérées ou prévisibles. Le débiteur peut proposer le nom d'un conciliateur.
Le Tribunal ainsi saisi examine les difficultés alléguées par l'entreprise et vérifie qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements, depuis plus de 45 jours, car la demande serait alors irrecevable.
Attention :
Le président désigne un conciliateur pour une période n'excédant pas 4 mois, éventuellement augmentée de 1 mois au plus par décision motivée.
Ainsi, une procédure de conciliation ne peut normalement pas durer plus de 5 mois.
Mais, en raison de la crise économique provoquée par l'épidémie de Covid-19, des aménagements ont été apportés : le président du tribunal peut décider, à la demande du conciliateur, de prolonger, une ou plusieurs fois, la durée d'une procédure de conciliation sans que celle-ci puisse toutefois excéder 10 mois.
Cette possibilité s'applique, jusqu'au 31 décembre 2021, aux procédures de conciliation en cours qui ont été ouvertes à compter du 24 août 2020, ainsi qu'à celles qui sont ouvertes à compter du 27 novembre 2020.
Rôle du conciliateur
Durant cette période, et en vue de mettre fin aux difficultés de l'entreprise, le conciliateur se voit confier la mission de favoriser la conclusion d'un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers.
Concrètement, le conciliateur va :
Prendre contact avec l'ensemble des créanciers de l'entreprise,
Négocier avec chacun d'eux des remises de dettes, des délais de paiement, ou les deux à la fois.
Il présentera dans ce cadre toute proposition visant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi.
Remarque :
La procédure de conciliation (pendant le temps des négociations et jusqu'à la conclusion d'un accord) ne suspend pas les poursuites des créanciers appelés en conciliation : ils peuvent continuer d'agir judiciairement en paiement à l'encontre de l'entreprise afin d'obtenir un jugement condamnant cette dernière à payer sa dette.
Texte légal :
Ordonnance COVID : s'agissant des procédures de conciliation ouvertes jusqu'au 31 décembre 2021 (source : Art. 124, loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020) :
Lorsqu'un créancier n'accepte pas de suspendre ses poursuites durant les négociations, l'entreprise peut demander au président du tribunal :
Qu'il interrompe ou qu'il interdise à ce créancier d'agir en justice contre elle pour obtenir le paiement de la somme d'argent qu'elle lui doit ou la résiliation d'un contrat pour ce motif.
Qu'il arrête ou qu'il interdise toute procédure d'exécution visant à saisir ses meubles ou ses biens immobiliers de la part de ce créancier.
Qu'il reporte ou qu'il échelonne, sans majoration ni pénalité, le paiement des sommes qu'elle doit à ce créancier.
Ces mesures de suspension des poursuites ordonnées par le président du tribunal ne produisent leurs effets que jusqu'au terme de la mission confiée au conciliateur, soit pendant 10 mois au plus.
L'issue de la procédure
Lorsqu'un accord amiable est intervenu entre l'entreprise débitrice et ses créanciers, le Président, sur requête conjointe des parties, constate cet accord et lui confère force exécutoire. Par cette décision il est mis fin à la procédure de conciliation ; l'accord ne fait l'objet d'aucune publication.
Néanmoins, l'homologation officielle de l'accord devant le tribunal est envisageable à la demande du débiteur. Dans ce cas :
L'accord est publié au BODACC, ce qui fait perdre le caractère confidentiel de la procédure.
En contrepartie, l'homologation permet la suspension des poursuites individuelles ou actions en justice de la part des créanciers signataires, pendant toute la durée de l'exécution de l'accord. Les coobligés et les personnes ayant consenti un cautionnement pourront se prévaloir des dispositions de l'accord homologué.
Exemple :
Ci-dessous, voici un exemple de publication au BODACC :
Extrait de jugement
Bodacc A n° 20180240 publié le 16/12/2018 Annonce n° 2443 Date : 2018-12-05 Jugement d'homologation de l'accord N° RCS : 399 189 224 RCS Lyon Dénomination : SBM DEVELOPPEMENT Forme : Société par Actions Simplifiée Activité : prise de participations dans toutes sociétés Adresse du siège social : chemin du Petit Bois les 4m 69130 Écully Complément Jugement : Jugement d'homologation de l'accord intervenu dans la procédure de conciliation. Le jugement est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance. |
En cas d'échec de la conciliation (à la demande du débiteur, ou lors du rejet des propositions par les créanciers), le débiteur peut s'orienter vers une procédure collective (sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire).