Couleur structure l'espace, la surface et le temps

Les artistes ont longtemps cherché à suggérer et reproduire la profondeur tridimensionnelle sur des surfaces planes, par de nombreuses techniques de dessin : la perspective, la superposition des plans ou encore le chevauchement des formes.

Au-delà de la sensation d'espace créée par ces techniques de dessin pur et les formes, la couleur joue un rôle essentiel dans la structuration de la surface, de l'espace et du temps, tant dans les œuvres figuratives qu'abstraites.

Net / flou

Léonard de Vinci est à l'origine de la technique picturale dite du sfumato. L'effet aérien et vaporeux, donnant au sujet des contours imprécis, à l'image de la fumée, est obtenu par la superposition de couches délicates de peinture.

Ce travail du dessus et du dessous est un apport significatif dans l'histoire de l'art. L'utilisation de la couleur et de la matière picturale structure en profondeur et crée l'atmosphère de l'œuvre.

Effet spatial des couleurs

La spatialité des couleurs permet d'accentuer l'illusion du volume, grâce à leur effet d'éloignement ou de rapprochement. Sur ce principe, le clair/obscur permet de détacher un personnage d'un fond foncé, voir noir pour Le Caravage. Les tons clairs avancent, tandis que les foncés reculent. Sur le même principe, des couleurs vives peuvent être opposées à des couleurs ternes. Ces dernières propulsent les teintes vives à l'avant du tableau.

Cet effet est très utilisé dans l'Optical art, pour donner une impression de 3D aux œuvres, grâce à la construction géométrique appuyée par l'utilisation de différentes nuances de couleurs et de contrastes simultanés ou des complémentaires.

Série des cathédrales de Claude Monet (1892-1894)

Considéré comme l'un des premiers peintres de séries, Claude Monet a peint de nombreux paysages sous différentes versions, en travaillant la perception même de la lumière, traduite grâce aux couleurs, à des heures et des saisons différentes. Ainsi, il a peint 40 toiles de la cathédrale de Rouen.

Toutes ces variantes sont complètement différentes les unes des autres. Les ombres sont souvent bleutées, voire violette pour contraster avec les couleurs jaune et orangées de la lumière du soleil, leurs complémentaires. Les couleurs chaudes sont souvent considérées comme celles de la lumière et les couleurs froides celles de l'ombre. Son travail sur la lumière et la succession des « clichés » représente le temps qui passe. Ce travail des couleurs choque les contemporains, mais amorce un tournant dans le traitement de la couleur dans l'histoire de l'art.

Fernand Léger (1881-1955)

« Allez au cirque. Rien n'est aussi rond que le cirque. C'est une énorme cuvette dans laquelle se développent des formes circulaires. Ça n'arrête pas, tout s'enchaîne. La piste domine, commande, absorbe. [...]. Allez au cirque. Vous quittez vos rectangles, vos fenêtres géométriques et vous allez au pays des cercles en action. » Fernand Léger Cirque, 1950.

Fernand Léger est à la fois proche du cubisme, du fauvisme ou encore du futurisme. C'est un peintre original qui expérimente sans cesse de nouveaux procédés et de moyens d'expression.

Sa toile Le Cirque de Médrano, faite de personnages et de formes géométriques, représente la piste circulaire du cirque, perturbée par le mouvement des acrobates et des clowns. Au premier regard, la toile semble déstructurée et abstraite, mais plus on l'analyse, plus on y découvre des bribes de la réalité, le spectateur est ainsi happé dans le tourbillon dynamique du tableau.

Orphisme (vers 1912)

« J'eus l'idée d'une peinture qui ne tiendrait techniquement que de la couleur, des contrastes de couleur, mais se développant dans le temps et se percevant simultanément, d'un seul coup. J'employais le mot scientifique de Chevreul : les contrastes simultanés. » Robert Delaunay, 1957.

Robert et Sonia Delaunay sont les précurseurs de l'orphisme, mouvement rattaché au cubisme, et décrit en 1912 par Apollinaire.

La couleur prend la place de la ligne, chère à l'académisme, pour la production des formes. Les effets et combinaisons de couleurs permettent de créer des éléments qui deviennent le sujet principal de l'œuvre. L'orphisme utilise beaucoup le contraste simultané des couleurs qui devient un nouveau langage pictural. La déformation est obtenue par des plans et rythmes colorés, telles des réfractions lumineuses, créant un effet très dynamique.

De Stijl, le néoplasticisme (1917-1932)

Le néoplasticisme, aussi appelé De Stijl du nom d'une revue hollandaise, est un des premiers courants de l'abstraction. Il utilise la géométrie où l'équilibre est le principe fondamental dans la composition. Ces œuvres sont le résultat d'une simplification progressive et extrême de paysages.

Les couleurs primaires et les lignes droites noires sont largement utilisées donnant un caractère épuré et austère à ce style, qui sera aussi beaucoup utilisé en design et architecture. Le contraste de couleur en soi est poussé à son niveau le plus extrême dans ces compositions picturales en aplats.