Classification des caractères et leur connotation

Contexte

Il existe aujourd'hui des centaines de milliers de caractères typographiques qui se téléchargent en quelques secondes sur internet, que ce soit légalement ou illégalement, et parmi eux, certains sont mal dessinés. Le but premier de la typographie est de rendre un message lisible, notamment grâce aux caractères de labeur, destinés aux textes longs. Il faut alors faire en sorte que la typographie choisie colle au maximum au message que l'on veut faire passer.

Connaître les connotations de toutes les polices de caractères est impossible, c'est pour cela que depuis les années 1900, il y a eu beaucoup de tentatives de classification des caractères typographiques. La première était la classification Thibaudeau, composée de 4 catégories, car à l'époque, il y avait beaucoup moins de caractères typographiques.

Remarque

Aujourd'hui, la seule classification reconnue par l'Atypi (Association TYPographique Internationale) est une classification qui a été développée en 1954 par Maximilien Vox, écrivain, éditeur, typographe et journaliste. Dans le cadre des Rencontres de Lure, des passionnés débattent de typographie et des enjeux de chacune ; pour ce faire, ils ont eu besoin d'un minimum de règles de vocabulaire pour pouvoir parler pertinemment de chaque caractère. Il était ainsi important de pouvoir ranger chaque caractère dans une famille particulière. Vox a principalement développé son système sur l'histoire des caractères et leur forme. C'est cette classification de Maximilien Vox qui a été ratifiée par l'Atypi en 1962, d'où le nom de Classification Vox-Atypi.

Classification Vox-Atypi : les Humanes

La famille des Humanes comprend les caractères qui ont été créés à Venise à la fin du 15e siècle. Ce sont les premiers caractères latins gravés, inspirés de l'écriture calligraphique des membres de la chancellerie italienne. Ils sont reconnaissables par un contraste assez faible entre les pleins et les déliés, des empattements assez larges et gras, une barre transversale du E bas-de-casse légèrement relevée et non pas horizontale, et parfois le trait qui la termine dépasse légèrement le dessin de la lettre.

Ils ont une influence calligraphique très forte, on y retrouve l'empreinte de la main qui dessine chaque lettre. Ces caractères assez lourds ont des connotations du 16e siècle : noblesse, littérature et patrimoine, mais restent assez rustiques. Ils sont assez datés et donc à utiliser avec parcimonie.

Exemple

Jenson de Nicolas Jenson, Maiola de Veronika Burian.

Classification Vox-Atypi : les Garaldes

La famille des Garaldes tire son nom du dessinateur de caractères très apprécié de François 1er, Claude Garamont, qui a donné naissance à ce caractère français qui est encore utilisé aujourd'hui dans une forme quasiment inchangée, et de l'imprimeur vénitien Alde Manuce à qui l'on doit la création des caractères italiques.

Cette famille regroupe tous les caractères qui ont été dessinés et utilisés au 16e siècle, ainsi que les caractères contemporains qui s'en inspirent. L'axe des pleins et déliés est toujours incliné en référence à l'écriture manuelle, mais toutes les autres influences calligraphiques pesantes ont été légèrement estompées laissant place à une certaine rigueur artistique. Les caractères sont ainsi beaucoup plus fins, le contraste entre les pleins et déliés est plus affirmé. Le e vénitien a disparu, sa barre transversale est devenue horizontale.

Les connotations induites par cette famille de caractères sont, entre autres, la littérature, la noblesse et l'élégance.

Exemple

Garamond de Claude Garamont, Bembo de Stanley Morison, Sabon de Jan Tschichold, Plantin de Frank Hinman Pierpont.

Classification Vox-Atypi : les Réales

La catégorie des Réales comprend les caractères dessinés à l'époque du classicisme sous Louis XIV. Les caractères latins existants de la famille des Garaldes et des Humanes ont été repris, et au lieu de les dessiner à la plume, ils ont été tracés à l'aide d'une règle et d'un compas, de manière rationnelle.

Le contraste entre les pleins et déliés continue d'augmenter, en partie grâce au papier vélin inventé par John Baskerville en Angleterre à la même époque. Celui-ci est de plus en blanc et solide, permettant une impression des déliés de plus en plus fins.

Ces caractères ont un côté solennel, ils expriment la littérature, l'administration. Ils sont très lisibles, mais sont plus sérieux et moins chaleureux que ceux de la famille des Garaldes. On retrouve les Réales dans beaucoup de livres, ce sont des caractères de labeur de bonne facture, très agréables à lire et qui ne génèrent pas de fatigue visuelle.

Exemple

Baskerville de John Baskerville, Caslon de William Caslon, Times New Roman de Stanley Morison.

Classification Vox-Atypi : les Didones

La famille des Didones tire son nom de deux grands personnages de la typographie de la fin du 18e et du début du 19e siècle, Giambattista Bodoni à Parme et la dynastie française des Didot, imprimeurs, éditeurs et dessinateurs de caractères typographiques.

Cette famille correspond à l'aboutissement du processus de rationalisation qui a été amorcé à l'époque de Louis XIV, les caractères deviennent de plus en plus verticaux, l'axe qui était un peu incliné a complètement disparu. Grâce au papier vélin, il est possible d'imprimer des déliés de plus en plus filiformes.

Cette famille a des connotations froides, austères et rigides, et en même temps romantiques et très exaltées. On retrouve ce caractère dans les travaux de Stendhal, Balzac, Victor Hugo et Baudelaire, mais aussi dans les assignats, les documents de Napoléon et les textes de loi. Ce caractère de l'aristocratie est assez difficile à lire pour les textes longs. En revanche, il est encore très utilisé pour les titres sur des couvertures de magazines et de livres ou sur des affiches de films, parce qu'il continue de véhiculer une image de classe, de féminité et de préciosité, comme pour les magazines Vogue et Harper's Bazaar.

Exemple

Didot de Firmin Didot, Bodoni de Giambattista Bodoni, Walbaum de Justus Erich Walbaum.

Classification Vox-Atypi : les Mécanes

Le nom de la famille des Mécanes vient de l'époque où ces caractères ont été créés, en pleine révolution industrielle au milieu du 19e siècle. C'est la naissance des caractères gras, les empattements sont poussés à l'extrême, devenant rectangulaires, ce qui leur donne un aspect massif et mécanique. Les pleins et déliés sont réduits, voire supprimés, et les caractères sont très larges.

Les Mécanes ont une connotation très populaire, industrielle et publicitaire. Les premières utilisations de cette famille sont pour la création de logos, d'affiches. Après avoir été abandonnées, elles vont revenir à la mode dans les années 50-60, profitant de l'essor du jazz aux États-Unis, musique créée par des ouvriers. Elles vont être massivement utilisées par le label Blue Note Records, notamment par le graphiste des pochettes de disques Reid Miles, qui va utiliser principalement le Clarendon, créé en Angleterre à la fin du 19e siècle.

Aujourd'hui encore, ces caractères continuent de transporter cette connotation ouvrière et populaire, mais également et paradoxalement une connotation élitiste et musicale avec son utilisation récurrente dans le jazz.

Exemple

Clarendon de Robert Besley, Rockwell de Frank Hinman Pierpont, Memphis de Rudolf Wolf.

Classification Vox-Atypi : les Linéales

La famille des Linéales est dénuée d'empattements. Depuis l'avènement de l'informatique, cette famille se densifie très largement, car ses caractères sont les plus faciles à dessiner pour un typographe débutant.

Les principales connotations de cette famille sont ses côtés neutres, polyvalents et objectifs. À l'image de l'Helvetica, ces caractères pourront autant être utilisés pour un logo d'une exposition d'art contemporain, que pour une affiche informative interne à une entreprise.

Le Futura, dessiné en 1927 par Paul Renner en Allemagne, est utilisé autant dans le logo de la marque de luxe Louis Vuitton, que sur les affiches de 2001 l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, ou encore dans le logo de la chaîne télévisée Canal+.

Le caractère Helvetica est tellement omniprésent et célèbre qu'il a fait l'objet d'un film documentaire, réalisé par Gary Hustwit. Il a été utilisé pour habiller les marques Orange, Caterpillar, American Airlines, Fendi, Lufthansa ou encore Ouest-France.

Les caractères de cette famille ne possèdent pas d'empattements, leur lecture est donc plus compliquée pour des textes longs, mais ils se prêtent parfaitement aux logos, aux titres et aux textes courts. Aux États-Unis et en Angleterre on parle de caractère sans serif ou gothique, en Allemagne de caractère grotesk.

Exemple

Futura de Paul Renner, Helvetica de Max Miedinger.

Classification Vox-Atypi : les Incises

La famille des Incises regroupe les caractères aux empattements quasiment invisibles, comme étirés au maximum, donnant l'impression que le caractère s'évase en haut et en bas.

Ils s'inspirent directement des tracés des lettres gravées dans la pierre, les écritures lapidaires. Le caractère le plus connu de cette famille est l'Optima qui a été dessiné par Hermann Zapf dans les années 50. Il se trouvait alors dans l'église de Santa Croce à Florence où il est tombé en admiration devant les inscriptions d'une pierre tombale : il prend alors le seul morceau de papier en sa possession, un billet de banque, et redessine chaque lettre pour ensuite l'améliorer et publier ce caractère que l'on retrouve dans beaucoup d'applications cosmétiques. Le message principal que ces marques souhaitent faire passer à leurs clientes est : grâce à nos produits, vous allez rester belle et paraître jeune longtemps comme une statue sculptée dans la pierre.

On retrouve également Copperplate Gothic, le caractère qui imite les plaques en cuivre ou laiton d'avocats, d'huissiers de justice ou de notaires. Ces caractères induisent donc une connotation de sérieux, mais également de féminité, de classe et d'élégance.

Exemple

Optima de Hermann Zapf, Copperplate Gothic de Frederic Goudy, Lithos de Carol Twombly.

Classification Vox-Atypi : les Scriptes

La catégorie des Scriptes se compose des polices de caractères qui imitent l'écriture manuscrite, avec chaque caractère lié au suivant comme si on écrivait une ligne sans jamais retirer le stylo du papier.

Cette famille peut être subdivisée en plusieurs sous-catégories, en commençant par les Scriptes précieuses que l'on utilise surtout pour les faire-part de mariage, pour les invitations et les lettres diplomatiques. Ce sont des typographies qui imitent une calligraphie très appuyée, avec beaucoup de précaution et de préciosité.

On retrouve également des caractères qui ont été dessinés dans les années 50 et 60, principalement par le dessinateur Roger Excoffon, comme le Mistral qui évoque les cafés, les bals musette, les petits villages provinciaux ou encore Montmartre, comme pour le film Le fabuleux destin d'Amélie Poulain.

Des créations typographiques beaucoup plus contemporaines comme Plumero ou Bello apportent un trait dynamique, humain, chaleureux et graphique.

Exemple

Bickham de Richard Lipton, Mistral de Roger Excoffon, Plumero de Subtipos, Bello de Underware.

Classification Vox-Atypi : les Manuaires

Les Manuaires sont les caractères qui imitent l'écriture manuscrite non liée, où chaque lettre est séparée de la précédente et de la suivante. Ils évoquent l'Heroic Fantasy, le Moyen-âge, la tradition celtique. On les retrouvera par exemple sur des packagings de produits bretons, ou sur l'affiche du Seigneur des Anneaux. L'utilisation de cette famille est donc très restreinte.

On y retrouve également le Banco ou le Choc dessiné par Roger Excoffon, des caractères que l'on a l'habitude de voir sur des devantures de cafés, charcuteries ou coiffeurs, leur conférant un côté extrêmement populaire. De nombreuses lectures contemporaines de ses caractères comme le Strangelove imitant l'écriture manuscrite utilisée dans le générique du film Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Cette famille évoque la convivialité et un côté fait à la main plutôt chaleureux.

Exemple

Omnia de Karlgeorg Hoefer, Banco de Roger Excoffon, Choc de Roger Excoffon, Strangelove de Marcus Sterz.

Classification Vox-Atypi : les Fractures

La famille des Fractures est composée des polices de caractères dits gothiques, car massivement utilisés par les Allemands ; ils ont donc gardé ce côté germain dans leur ancrage historique, mais ces caractères sont pourtant nés en France et en Angleterre.

On retrouve beaucoup les Fractures sur les diplômes des grandes écoles américaines et anglaises, sur certains produits culinaires du terroir et dans les logos de groupes de hard rock, de métal et de la mode gothique. Ils n'ont pas beaucoup d'autres connotations, leur utilisation est extrêmement restreinte.

Le premier livre imprimé est la fameuse bible de Gutenberg qui a été éditée avec des caractères Fractures. À l'époque, on avait l'habitude de lire ces caractères, à l'inverse aujourd'hui on ne les utilise que pour des applications précises, car ils sont devenus quasiment illisibles.

Exemple

Fette Fraktur de Johann Christian Bauer.

Complément

Il existe en réalité une famille de plus dans la classification Vox-Atypi, il s'agit des caractères non-latin, comme les caractères cyrilliques, devanagari, hindi ou encore asiatiques. Tous les caractères qui n'obéissent pas à la graphie des caractères latins se retrouvent donc dans cette fameuse catégorie supplémentaire. Elle a été ajoutée par l'Association Typographique Internationale (Atypi) pour pouvoir sauvegarder ce patrimoine immatériel.

Quelques exemples de connotations des polices de caractères

Un des caractères les plus connus de la famille des Linéales est Gill Sans dessiné par Eric Gill dans les années 20 en Angleterre. Il a été tellement utilisé qu'il est devenu le caractère britannique par excellence, avec à la fois des connotations de fiabilité, de sérieux, de classe, de qualité et de confiance et en même temps un petit côté ludique. Le logo de Benetton utilise cette typographie pour évoquer la confiance et la qualité.

Les caractères de la famille des Didones ont maintenant une connotation très forte de mode, de classe et de luxe. On les retrouve donc logiquement sur les couvertures de magazines comme Vogue et Harper's Bazaar.

Les Incises sont utilisées par les marques de cosmétiques comme Estée Lauder, avec une police comme Optima utilisée pour les communications et emballages et complètement assimilée par les grands groupes, et qui font aujourd'hui partie du bagage culturel de chacun même si nous n'y prêtons aucune importance.

Remarque

Il est donc important de connaître et reconnaître chaque famille de polices de caractère et leurs connotations induites par leur utilisation. Celles-ci sont principalement valables pour la sensibilité culturelle occidentale. Si le sujet de travail se trouve sur un autre continent, il n'aura pas du tout le même bagage culturel et ne sera donc pas sensible aux mêmes connotations.