Historique de la typographie

Aux origines de l'écriture, Phéniciens, Grecs : la création des premiers alphabets

L'écriture telle que nous la connaissons en Occident est née il y a environ 5 500 ans, vers 3 500 avant notre ère, au sud de l'actuel Irak, dans la ville de Sumer. Les Sumériens avaient ainsi créé le premier système de représentation graphique des sons et des idées : les pictogrammes.

Ces sons sont ensuite devenus, en Égypte, des hiéroglyphes, sortes d'images très figuratives, dont le son pouvait souvent changer ; on ne peut alors pas encore parler d'alphabet. Les hiéroglyphes étaient taillés dans la pierre par les scribes. Cette activité rémunérée et chronophage était réservée aux élites et obéissait à des codes très particuliers. Les scribes égyptiens avaient aussi pris l'habitude d'écrire plus rapidement sur des feuilles de roseau avec une plume taillée en biseau. C'est ce qu'on appelle l'écriture démotique, une écriture toujours figurative, mais plus axée sur une communication phonétique des sons et phonèmes.

Ces différentes écritures ont ensuite donné naissance aux écritures cunéiformes des Phéniciens, vers -1000 avant notre ère, qui sont à l'origine de la forme des lettres des alphabets latins. Les Phéniciens ont ainsi développé un système d'écriture en empruntant des représentations graphiques pour pouvoir faire passer un son. Grands commerçants, ils ont exporté ce système de représentation graphique dans tous les pays avec lesquels ils commerçaient, avec la Grèce notamment vers -800.

Les Grecs se sont appropriés ces fameuses représentations, mais comme ils ne parlaient pas le phénicien, le sens des pictogrammes a disparu pour ne garder que leur aspect phonétique :

  • Le premier signe des Phéniciens était Aleph, signifiant bœuf et représenté par une tête de bœuf stylisée. En 200 ans, et à force de l'écrire de plus en plus rapidement sur des parchemins, le mouvement de la main a retourné cette tête, tout en la radicalisant dans son traité graphique, elle est ainsi devenue de plus en plus abstraite. Cette lettre en forme de A est devenue Alpha dans l'alphabet grec.

  • Le second phonème des Phéniciens était Beth, signifiant maison et représenté par une sorte de rectangle symbolisant les 4  murs d'une maison. Encore une fois, cette graphie s'est retournée à 90° à force d'évolution pour arriver à la forme de la lettre B, Bêta chez les Grecs.

  • Le phonème phénicien Gimel, signifiant chameau, s'est également retourné et radicalisé, pour devenir Gamma en grec, notre lettre G.

C'était la création de notre alphabet, exclusivement en capitales (majuscules). Il faut d'ailleurs trouver dans les 2 premières lettres de l'alphabet grec Alpha et Bêta, l'origine du mot alphabet.

À l'époque, les Grecs taillaient et écrivaient leurs lettres sans espace et sans ponctuation, chaque lettre était ainsi à espace régulier des autres, comme dans un grand quadrillage. Ils avaient alors l'habitude d'écrire la première ligne de gauche à droite, puis la deuxième de droite à gauche et ainsi de suite, à l'image d'un bœuf qui laboure un champ, d'où le nom d'écriture boustrophédon, venant du grec boũs « bœuf » et strophế « action de tourner ». À chaque changement de ligne et donc de sens, on retournait également les lettres, ce qui a été d'une influence majeure pour les lettres de notre alphabet dont certaines, comme le B, se sont définitivement inversées.

De la Capitale romaine, à la Minuscule caroline

La naissance de la capitale romaine

L'alphabet que les Grecs avaient créé a été ensuite utilisé par les Étrusques, vers -600, puis les Romains se le sont approprié à leur tour, vers -100. Ces derniers étaient déjà habitués à construire des temples majestueux et esthétiques, dépassant le simple usage fonctionnel. Leur architecture était belle et délicate, au travail très appuyé, il était alors hors de question, pour les Romains de l'époque, de fabriquer des bâtiments aussi flamboyants et artistiques pour y apposer des lettres de manière déstructurée. Ces lettres qui allaient orner ces bâtiments, pour célébrer des personnages illustres comme César, devaient être en adéquation stylistique avec le support sur lequel elles allaient être taillées, comme les temples et les amphithéâtres.

Les Romains ont ainsi repris la forme des lettres grecques, en leur appliquant des éléments qui répondaient à des fonctions, comme être visibles de loin et ainsi appuyer la grandeur de leur empire. Il fallait donc que ces lettres soient grandes et leur taille dans la pierre était très profonde pour que l'ombre créée par le soleil puisse être la plus sombre possible, pour que les lettres ressortent bien.

Ils ont également inventé le rythme esthétique et fonctionnel dans la lecture. Ainsi certaines lettres étaient plus larges, d'autres plus minces. Par exemple les lettres O et Q étaient très étendues, presque impeccablement rondes, alors que la lettre E était très étroite et réduite. De la même manière, ils ont fait intervenir une nouvelle technique pour séparer chaque mot. Même s'ils n'ont pas encore eu l'idée de créer un espace pour les séparer, ils ont inséré un point à mi-chemin entre chaque mot pour créer du rythme et améliorer la lisibilité, quelle que soit la distance.

Complément

Cette capitale romaine a été numérisée en 1989 par Carol Twombly, pour Adobe. Elle s'est basée sur les écritures se trouvant à la base de la colonne Trajan à Rome, érigée à la gloire de l'empereur du même nom. Le Trajan est le caractère que l'on retrouve sur 90 % des affiches de films américains à succès.

Les Romains taillaient des lettres dans des monuments avec beaucoup de minutie, de talent et de précision, mais ils avaient également besoin, tout comme les Grecs auparavant, d'écrire un peu plus rapidement des comptes-rendus ou tout autre type de documents. Ils ont donc développé un autre système d'écriture sur papier : l'écriture rustica, qui reprend les principes fondamentaux de l'écriture de la capitale romaine, adaptée à une utilisation avec un roseau taillé et de l'encre. Les scribes romains écrivaient ainsi de plus en plus vite et après des centaines d'années, le ductus des lettres (enchaînement des traits dans un ordre précis) a évolué, les caractères se sont transformés et chaque lettre de la capitale romaine est devenue ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de caractère minuscule.

La naissance de la minuscule caroline

Après de nombreuses évolutions disparates des langues et de leur écriture depuis la fin de l'Empire romain, et ce sur plusieurs centaines d'années, naîtra le premier alphabet minuscule : l'alphabet caroline, apparu sous le règne de Charlemagne (Carolus, 770 et 800 apr. J.-C..), d'où il tire son nom.

En effet, pendant ces longues décennies de conquête de territoire et de guerres, seuls les églises et les monastères restent sur pied et les moines continuent ainsi d'écrire sur des parchemins des dogmes religieux, de l'histoire et des traditions, de la littérature, de la poésie ou encore de la philosophie. Lorsque Charlemagne arrive au pouvoir, afin de gérer son empire où chaque région a développé sa propre langue, sa propre écriture et son propre système de règles et de traditions, il décide de créer une langue commune : la langue des Francs. Charlemagne invente alors les premières écoles, où la nouvelle génération pourra étudier cette nouvelle langue. À la demande de ce dernier, Albinus Alcuin, un moine érudit, créé les règles de l'écriture du français avec sa ponctuation : c'est la grammaire. Charlemagne choisit d'utiliser un nouveau système d'écriture, avec à la fois les capitales romaines inchangées et la fameuse minuscule caroline. Majuscules et minuscules donnent ainsi lieu à notre alphabet, tel qu'on l'utilise encore aujourd'hui.

Fractures et Ligatures

La naissance des fractures

En 1066, Guillaume le Conquérant envahit l'Angleterre. Cela provoque une interpénétration des cultures, que l'on retrouve dans la création d'un nouveau style d'écriture qui apparaît à l'Abbaye-aux-Hommes de Caen, à la même époque : c'estl'écriture gothique.

On l'appelle écriture gothique car les peuples germains l'ont beaucoup utilisée par rapport au reste de l'Europe, mais son vrai nom est l'écriture fracture.

Les fractures sont les écritures utilisées par les moines dans les premières abbayes des années 1000-1100. Au départ, les premières écritures « gothiques » étaient plutôt arrondies, mais le tracé des verticales des lettres, leur ductus descendant, était très large et épais. L'aspect arrondi des formes a eu tendance à se radicaliser pour aboutir au caractère gothique que l'on connaît aujourd'hui, beaucoup plus germanisant. Ce caractère est très difficile à lire, il a donc été ajouté un petit trait au-dessus de certaines lettres pour pouvoir les différencier les unes des autres, surtout les voyelles, comme le i : il s'agit là de la création du point sur les i et des accents grave et aiguë.

MéthodeLa naissance des ligatures

À cette époque, et dans un souci d'économie sur la rédaction des documents commandés, les moines ont commencé à lier 1, 2, voire 3 lettres ensemble. On avait ainsi un mot de 10 caractères réduit à 8, 7, voire 6 caractères. C'était la naissance des ligatures, qui ont aujourd'hui quasiment disparu avec l'utilisation des ordinateurs, à l'exception de quelques unes, comme la ligature du a et du d, où le a est entouré d'une courbe, appelée aujourd'hui arobase, caractère nous servant principalement à rédiger des adresses email. En latin ad signifie à ou chez. L'esperluette, appelée à tort commercial par les anglophones, est la ligature du e et du t, signifiant tout simplement et.

Certaines ligatures sont encore utilisées dans les travaux typographiques de qualité, comme fi, ffi, fl, ffl. Prenons l'exemple de la ligature du f et du i : pour éviter que le point du i chevauche la courbe du f et produise un amas inesthétique, la courbe du f traditionnel est allongée, pour faire office à la fois de courbe et de point au-dessus du i.

Gutenberg : la première technique d'impression

L'invention de l'impression

Avant 1450, dans les monastères et les églises, certains moines ont l'idée de graver chaque page en entier sur une planche de bois, pour pouvoir dupliquer les travaux qu'ils réalisent. Ainsi, ils la gravent à l'envers, la recouvrent d'encre, apposent dessus une feuille de papier pour obtenir une page imprimée. Cette technique très pratique est malheureusement très fastidieuse et chronophage.

En 1450, dans la ville de Mayence, Gutenberg, un garçon débrouillard, invente l'impression. Au lieu de graver une page en entier, il grave chaque caractère séparément, pour reconstituer ensuite les lignes entières. Il réutilise ensuite ces caractères pour imprimer une autre page.

La typographie avec des caractères mobiles est donc née, au départ en bois puis en métal. Le premier livre qu'il imprime avec son invention est la Bible, à une époque où il est très rare d'avoir son propre exemplaire, car cet ouvrage, copié à la main, coûte très cher. Ce livre imprimé d'une centaine de pages, en format A3, existe encore en 22 exemplaires présents entre autres à l'Abbaye Saint-Martin de Mondaye en Normandie, à la Bibliothèque de Londres, et également disponible gratuitement en version numérisée.

Le génie de Gutenberg est d'avoir inventé un système très perfectionné, resté inchangé pendant plus de 500 ans. Encore aujourd'hui, il y a des imprimeurs qui continuent d'imprimer avec cette technique, des cartes de visite, des affiches et parfois des petits livres.

Le fonctionnement de l'impression typographique

Au départ, il y a la taille du poinçon, tige d'acier très dure mesurant à peu près 20 cm de long selon la taille du caractère à tailler. Le typographe doit tailler à l'envers tous les caractères un par un, et selon le corps souhaité (dimension du caractère).

Ensuite, il utilise une feuille épaisse de métal plus mou, principalement du cuivre, sur laquelle il frappe le poinçon pour faire l'empreinte du caractère en positif. Il prend ensuite un 3e métal fondu cette fois, en général un alliage d'étain, qu'il coule dans le moule créé grâce à l'étape précédente. Il peut ainsi couler plusieurs exemplaires du caractère avec le même moule, c'est ce qu'on appelle une casse.

Le mot casse vient du nom du tiroir en bois avec de nombreuses cases dans lequel on range dans les cases du haut, les majuscules et les caractères minuscules dans les cases du bas, d'où le nom de bas-de-casse pour définir les minuscules.

L'artisan typographe prend ensuite un composteur, sorte de petit cadre de métal pour aligner chaque lettre l'une à côté de l'autre, et ainsi former des lignes entières qu'il place ensuite dans un plus grand cadre en métal ou en bois, appelé marbre, pour créer la page entière. Il l'enduit ensuite d'encre, et imprime la feuille de papier grâce à une presse à vis.

Caractères plomb, édition vénitienne et italique

La naissance de l'écriture humaniste et de l'italique

Historiquement, cette période correspond à un mouvement artistique et philosophique : l'Humanisme, né à Venise vers 1450. À cette époque à Venise, toutes les personnes travaillant à la chancellerie de la ville avaient une écriture très proche de l'écriture latine telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Un graveur du nom de Nicolas Jenson décide de créer un caractère typographique différent des fractures, utilisées entre autres sur les imprimés de Gutenberg, pour s'approcher de cette écriture calligraphique de la chancellerie vénitienne : c'est la naissance des caractères humanistes.

Ces écritures ont de petits ergots, des sortes de crochets, qui partent des extrémités de chaque lettre : les empattements, appelés serif en anglais. Ces empattements ont une réelle utilité, étudiée notamment par Léonard de Vinci, car ils ont pour but d'aider l'œil à passer d'un caractère à l'autre, rapidement et facilement. L'œil étant un organe sphérique, il se déplace en tournant et non de manière linéaire. L'empattement va ainsi aider l'œil à passer d'une lettre à l'autre, de manière fluide et aisée, on pourra ainsi lire un livre entier sans se fatiguer. C'est pour cette raison que ces caractères à empattements s'appellent en général des caractères de labeur, indiqués pour la lecture de textes longs.

En 1501 à Venise, l'imprimeur Alde Manuce demande à son graveur Francesco Griffo de lui tailler un caractère en imitant l'écriture de certains membres de la Chancellerie italienne, mais dans une version plus penchée, c'est la naissance de l'italique.

Toutes ces écritures humanistes ont dans leur tracé, une grande influence de la main. En 1544, le typographe officiel du roi, Claude Garamont, décide de tailler ses propres caractères en y ajoutant beaucoup plus de rigueur artistique : ce qui donne naissance à son caractère Garamond. Ce caractère est encore utilisé aujourd'hui en France, notamment pour les livres de la collection Pléiade. Les poinçons originaux du Garamond sont visibles au musée Plantin-Moretus à Anvers, en Belgique.

La suppression progressive de l'influence de la main

En 1714, Philippe Grandjean se voit confier une tâche par Louis XIV, le Roi Soleil : créer des caractères en retirant l'influence de la main, avec beaucoup de rigueur, en faisant en sorte que l'aspect de chaque lettre obéisse à des canons précis, presque architecturaux. C'est alors une grande révolution dans la typographie. L'axe des pleins et des déliés, qui était encore penché à cette époque, devient vertical et très construit, on va ainsi assister à la création du Romain du roi, on perd alors en chaleur et convivialité dans le tracé des lettres, mais on gagne en rigueur, en classe et en lisibilité.

Les Romains du roi n'ont finalement pas été très utilisés en France, mais entre 1750 et 1770, de nombreux typographes, notamment en Angleterre, se sont largement inspirés des Romains du roi pour créer leur propre caractère typographique, comme William Caslon avec le Caslon ou John Baskerville avec le Baskerville. Ces caractères reprennent les caractéristiques d'élégance et de lisibilité du Romain du roi. John Baskerville a également beaucoup travaillé sur le support d'impression : le papier, en créant notamment le papier vélin, obtenu en mélangeant du chiffon dans le papier pour qu'il soit plus résistant. Il a également surfacé ses papiers pour qu'ils soient beaucoup plus blancs et lisses que les papiers ordinaires, permettant ainsi des impressions de qualité, plus propres et plus claires. Les caractères qu'il a créés sont donc eux-mêmes très fins et délicats. Les caractères de Caslon et de Baskerville ont d'ailleurs été achetés par Benjamin Franklin en Angleterre, qui les a emmenés avec lui en bateau aux tout nouveaux États-Unis. C'est la raison pour laquelle la Déclaration d'Indépendance américaine, aujourd'hui à Washington, est composée en caractère Caslon.

L'invention du papier vélin a permis à des typographes comme Firmin Didot en France, et Giambattista Bodoni en Italie de créer des caractères au contraste poussé entre leurs parties larges (les pleins) très épaisses et leurs parties fines (les déliés) plutôt filiformes. Ce qui a donné naissance au Bodoni et au Didot, très utilisés à la fin du 18e et au début du 19e siècle, notamment au moment de la Révolution française, pour les assignats, les journaux de Marat, les 1ers traités de Napoléon, le Code civil et les premiers livres de la période romantique de Stendhal, les poèmes de Baudelaire et les premiers livres de Victor Hugo.

Ces caractères qui ont marqué leur époque, sont très élégants, classieux et classiques et en même temps assez sinistres et austères. Ils continuent aujourd'hui de transporter cette connotation de classe aristocratique. On les retrouve notamment dans les logos de journaux de mode féminin plutôt élitistes comme Harper's Bazaar, Vogue et Elle dans une moindre mesure.

Typographie au 20e siècle

Les premiers caractères sans empattements

Au milieu du 19e siècle, vers 1850, c'est la révolution industrielle et la publicité dans les journaux se développe. Le tarif de ces espaces alloués aux réclames est coûteux, l'annonceur essaie alors d'économiser de l'argent en y mettant un maximum de caractères, et les fameux empattements prenant trop de place, ils vont disparaître pour faire place aux premiers caractères sans empattements.

Le retrait de ces empattements permet de gagner de la place et donc de l'argent, mais aussi de contraindre les lecteurs à s'arrêter pour prendre le temps de lire ces caractères à la lecture moins aisée. Pour attirer le regard, ils deviennent également de plus en plus gras.

Les typographies décoratives

Au début du 20e siècle, le style typographique suit la mode et l'architecture, on voit ainsi apparaître beaucoup de typographies dites décoratives, notamment en France et en Allemagne. Par exemple, les typographies Art Nouveau présentes dans les rues de Paris avec les débuts du métro et les grandes sculptures métalliques de Hector Guimard. On voit également apparaître, dans les années 30, des typographies dessinées par Cassandre sur de nombreuses affiches publicitaires comme pour Dubonnet ou pour de grands paquebots. Il dessine alors de nouveaux caractères comme le Peignot ou le Broadway qui s'inspire des panneaux publicitaires américains de la même époque.

La création du caractère Futura

En réaction à cette utilisation uniquement décorative de la typographie, il va se créer dans les années 20, en Allemagne, à Weimar, une école d'architecture, de design, de graphisme et de typographie : le Bauhaus. C'est l'avènement de la forme qui doit suivre la fonction. Paul Renner, designer, va créer une police de caractère en s'inspirant des préceptes du Bauhaus, alors qu'il n'en fait pas directement partie.

La fascination pour les trois formes de base que sont le carré, le triangle et le cercle, va amener Paul Renner à s'en servir pour créer une police de caractère, intrinsèquement difficile à lire, qui va forcer les gens à s'arrêter pour prendre le temps de comprendre ce qu'ils sont en train de lire. Il y a ainsi une véritable volonté, presque politique, derrière la création de ce caractère. Paul Renner va se rendre compte rapidement du potentiel commercial que détient sa police de caractères, il décide alors d'adoucir ses angles et faire en sorte qu'elle soit un petit peu plus pratique et lisible. Il va publier ce caractère sous le nom Futura, celui-ci va avoir un succès énorme dans le monde entier dans les années qui vont suivre, et jusqu'à maintenant.

La création du caractère Times New Roman

À la même époque, le quotidien anglais Times de Londres, qui utilisait jusqu'à présent une déclinaison du Baskerville, souhaite du renouveau, car il n'arrive pas à faire tenir suffisamment de caractères dans une page. Il missionne le typographe Stanley Morrison pour créer un nouveau caractère de quotidien, qui soit le plus lisible possible. Il va ainsi donner naissance en 1932, au caractère Times New Roman, encore massivement utilisé aujourd'hui, notamment sur internet, car c'est l'une des seules polices de caractères disponibles gratuitement avec le système d'exploitation Windows.

La création du caractère Gill Sans

La première ville d'Europe à avoir construit son métro est Londres. Dans les années 20, Frank Pick, son administrateur, demande à Edward Johnston de dessiner la police de caractère qui sera utilisée dans le métro pour annoncer le nom de chaque station, et pour orner les plans du métro qui commencent à apparaître dans ses couloirs. Edward Johnston décide de reprendre le ductus (le tracé) des lettres classiques humanistes, en créant un caractère sans empattements cette fois, qui s'inscrit dans la modernité de ce nouveau moyen de transport. Le caractère qu'il va dessiner sera utilisé uniquement pour le métro.

Éric Gill, graveur et apprenti d'Edward Johnston, trouvant dommage que ce caractère au fort potentiel ne soit pas utilisé pour d'autres applications, va le redessiner et l'améliorer selon ses propres canons, pour le proposer à la publication dans la fin des années 20, sous le nom de Gill Sans, puisque dans les pays anglophones tous les caractères sans empattements s'appellent des caractères sans serif (emprunté au français). Cette police d'écriture va devenir très célèbre, d'abord en Angleterre puis dans le reste du monde. Gill Sans est utilisé sur les couvertures des livres de la société de publication Penguin Books, créés par le designer Jan Tschichold. Sa maquette de livre sera très épurée avec peu de couleurs et en utilisant uniquement le caractère Gill Sans. Aujourd'hui, ce caractère véhicule à lui tout seul la classe de l'Angleterre.

Les Rencontres typographiques de Lure

En 1952, Maximilien Vox décide de créer à Lurs, en Provence, les Rencontres de Lure avec, au départ, quelques personnes qui se regroupent pour parler des nouveaux enjeux de la typographie et les grands noms internationaux de l'époque s'y rejoignent pour présenter leurs nouveaux caractères, qui vont devenir, au cours des décennies suivantes, absolument indispensables à la palette de n'importe quel maquettiste ou graphiste actuel.

Roger Excoffon va y présenter son Antique Olive Nord, un caractère utilisé notamment dans le logo de Air France et son caractère Mistral, dans le milieu des années 50, que l'on retrouve encore aujourd'hui sur beaucoup de devantures de cafés et de bals musettes avec un style très français. C'est également aux Rencontres de Lure qu'Aldo Novarese va avoir l'idée de dessiner son caractère Eurostile, que l'on retrouve dans le logo des montres Casio. Adrian Frutiger viendra également présenter ses créations, tels l'Univers et le Frutiger, devenus le caractère des aéroports de Paris, principalement de l'aéroport de Roissy.

C'est également à Lurs que l'idée de renouveler le caractère vieillissant Akzidenz Grotesk émerge à la fin des années 50. Max Miedinger va ainsi créer le caractère suisse par excellence, l'Helvetica, encore aujourd'hui un des caractères les plus utilisés dans le monde. Les Rencontres Internationales de Lure continuent d'avoir lieu tous les ans la fin du mois d'août.

Complément

Avant l'ère informatique, chaque typographie est souvent née d'une contrainte technique. Depuis les années 80-90, et avec l'explosion d'internet et la facilité pour créer ou se procurer une typographie, il existe de plus en plus de caractères et cela devient plus difficile de tous les connaître et de les utiliser avec pertinence.