La nécessaire distance professionnelle

Les risques du travail auprès de la personne dépendante

Travailler au domicile de la personne aidée c'est entrer dans son intimité, instaurer une relation, l'accompagner dans les gestes de la vie quotidienne.

Quels liens doit créer l'intervenant, à la fois pour assurer un travail de qualité et se protéger ? À quel moment faut-il être proche, distant ou prendre du recul ?

Combien de candidats à l'embauche affirment : « J'aime les personnes âgées et je veux leur faire du bien et leur donner de l'amour ». Ils s'étonneront parfois de ne pas avoir été recrutés alors qu'ils avaient été sincères dans leurs motivations.

Certains tissent des liens affectifs si forts avec les aidés, qu'ils n'hésitent pas à passer en dehors de leurs horaires de travail ou téléphonent pour prendre des nouvelles le weekend.

Voilà des exemples qui révèlent les risques du métier !

Quels sont ces risques ?

Confondre l'affection et l'empathie. La première notion englobe une charge émotionnelle et affective, la seconde la capacité à comprendre ce que ressent l'autre tout en restant soi-même. Il est essentiel d'adopter une attitude empathique en tant qu'intervenant à domicile et de prendre du recul face aux sentiments affectifs.

Exemple

Judith, ADVF, travaille chez Mme C. depuis 6 mois tous les matins. Elle a accepté que la cliente l'appelle par son prénom et la tutoie dans un premier temps. Depuis quelques semaines, elle la tutoie à son tour et la surnomme « ma petite mamie ». Judith pense qu'elle a trouvé une relation pleine de bienveillance envers Mme C., elle est fière de cette relation. Quelle serait sa surprise si Judith apprenait qu'elle a dépassé les limites de son métier en devenant « une familière » de sa cliente.

  • L'attachement à une personne et la souffrance qui en résulte, soit lors de l'intégration en EHPAD de cette dernière, soit lors de son décès. L'absence crée un vide qui peut déstabiliser l'intervenant, qui ressentira la situation soit comme un échec car il n'a pas su à ses yeux aider sa cliente pour lui éviter « la maison de retraite », soit comme un abandon lié à la mort.

  • La confrontation à la grande dépendance, à des pathologies lourdes et chargées en émotions, comme la maladie d'Alzheimer. L'intervenant va prendre sur lui pour faire face à des circonstances qui le dépassent, affronter sans doute des violences perçues alors comme de l'agressivité. Il ne voudra pas en parler et continuera ses interventions jusqu'à un point de non-retour, un risque de maltraitance ou un burn-out (épuisement professionnel) préjudiciable à sa santé et à son équilibre.

Ces trois risques doivent faire prendre conscience que l'attitude professionnelle décrite n'est pas appropriée. La solution se trouve dans un positionnement professionnel qui consiste à mettre en place une distance professionnelle.

Trouver la juste distance professionnelle

Ce concept est difficile à définir :

  • La distance professionnelle n'empêche pas une certaine proximité,

  • La distance professionnelle ne doit pas être confondue avec la froideur et le mépris,

  • La distance professionnelle évite une gentillesse trop complaisante qui ne favorise pas l'autonomie,

  • La distance professionnelle protège les aides à domicile des risques du métier.

La distance professionnelle repose sur la notion d'empathie telle que Carl Rogers (psychologue américain – 1902/1987) l'a définie :

« Une capacité à saisir le plus exactement possible les références internes et les composantes émotionnelles de l'autre, à les comprendre tout en restant soi. »

Exemple

Mme C. a perdu son conjoint le mois dernier, chaque jour elle pleure et se désole d'être seule. Judith, l'intervenante, en arrivant, pleure avec Mme C., ne peut retenir ses larmes car cela la renvoie au décès de son propre père.

Ceci n'est en aucun cas un bon positionnement professionnel, car l'intervenante absorbe les peines et les souffrances de ses clients. Jusqu'à quel point sera-t-elle en mesure d'agir ainsi avant de craquer ? L'empathie consisterait pour Judith à dire : « Mme C., je comprends bien que vous soyez triste d'avoir perdu votre mari et ce n'est pas facile à vivre. Je suis à votre écoute si cela peut vous aider, si vous avez envie d'en parler ». En outre, l'empathie, ici, forte des principes fondateurs de l'Humanitude (méthodologie de soins promouvant la bientraitance) consisterait à joindre le geste à la parole : se mettre à la hauteur de la personne, la regarder dans les yeux et poser une main réconfortante sur son épaule (ou son bras, sa main, son dos).

ConseilLes intervenants à domicile

Quand vous êtes débordé par une situation, ne persistez pas sans en parler à vos collègues, votre responsable. Passez le relais, prenez quelques jours de repos, parlez-en à un psychologue si l'association en fait intervenir un.

Les bonnes pratiques professionnelles

Elles s'appuient sur un positionnement professionnel acquis au cours de la formation et des périodes en entreprise. Toutefois, par souci d'honnêteté, force est de constater qu'il est des circonstances où les intervenants se sentiront en difficulté, car travailler auprès de l'humain est aussi imprévisible.

Les bonnes pratiques :

  • Garder ses distances affectives en étant discret sur soi, comme ne pas se « raconter » à ses clients et exposer ses difficultés personnelles passagères ou récurrentes. Exemple : Mme Dupont, bénéficiaire de l'agence Atoudomi, s'est plainte auprès de la RS du manque d'amabilité de son intervenante, Claire. Claire a expliqué à sa RS que Mme Dupont était curieuse : elle lui a demandé si elle était mariée et si elle avait des enfants. Or, conformément à ce qu'on lui a appris en formation, Claire veut rester discrète, c'est pourquoi elle a répondu à Mme Dupont : « Ceci est une question privée, cela ne vous regarde pas ! ».

Décryptage de la situation : 1) La structure et son personnel ont accès – au moins en partie – à la vie privée du bénéficiaire (entrent dans son domicile, touchent à ses affaires, à son corps, connaissent des choses sur son histoire de vie, sa perte d'autonomie, etc.). Il est donc compréhensible qu'en retour, le bénéficiaire cherche lui aussi à savoir des choses. 2) S'il faut faire preuve de distance professionnelle (laquelle passe notamment par la discrétion relative à sa propre vie privée), il faut en parallèle faire attention à ne pas tomber dans le piège de la froideur (« C'est privé, cela ne vous regarde pas ! »), car cela coupe le lien (et la confiance).

Bonne pratique : Dans cette situation, la juste distance consiste à préserver des éléments de sa vie privée vers soi (exemple : Claire est bien mariée, mais se querelle chaque jour avec son mari avec lequel elle ne s'entend plus – Claire a 2 enfants, dont 1 qui a de graves difficultés scolaires à cause d'un trouble DYS), tout en en délivrant certains afin d'entrer dans une relation donnant-donnant, qui va venir contenter la bénéficiaire :

– Mme Dupont « Alors Claire, dites-moi, vous êtes mariée ? »

– Claire « Oui, en effet, depuis 10 ans ! »

– Mme Dupont « Et vous avez des enfants ? »

– Claire « Oui, j'en ai 2 ! »

– Mme Dupont « Ah, bien, ils ont quel âge ? »

– Claire : « Ma fille Lucie a 10 ans et mon fils Hector, 6 ans »

Ici, Claire a donné un peu d'elle à Mme Dupont (et en tout cas ne l'a pas rabrouée vis-à-vis de sa curiosité), tout en restant discrète (n'a rien dévoilé d'extraordinaire, n'a pas raconté sa vie).

  • Maintenir des relations de courtoisie sans passer par le tutoiement, ni l'emploi de surnoms familiers (exemple : mamie, ma p'tite dame, etc.). Un intervenant professionnel et courtois interpelle le bénéficiaire par son nom de famille, précédé de monsieur ou madame. Dans le cas où le bénéficiaire insiste (pour qu'on l'appelle par son prénom ou, plus rarement, pour qu'on le tutoie), l'intervenant doit tout d'abord le signaler à son RS, et le mieux est d'entériner cette requête dans le projet de vie (il faut acter que ceci relève d'un souhait conscient et assumé du bénéficiaire).

  • Respecter les temps d'intervention et ne pas aller au-delà. Parallèlement, en tant que responsable (capable d'argumenter), faire tout son possible pour ne pas accepter d'intervention de moins d'une heure, tel que le recommande l'ANESM (en effet, peut-on raisonnablement demander à une intervenante de procéder, par exemple, à l'aide à la toilette en 30 mon, tout en étant bientraitante et à l'écoute de la personne en perte d'autonomie ?).

  • Se rappeler que l'on est un professionnel rémunéré pour le service rendu et non un bénévole.

  • Respecter l'intimité de la personne et ne pas devenir intrusif ou indispensable.

  • Favoriser l'autonomie de la personne et ne pas faire tout à sa place pour « faire plaisir et être gentil ».

  • Privilégier le confort de vie de la personne sans chercher à entretenir une relation affective à tout prix.

  • Garder une « vigilance » professionnelle en partageant des activités et des tâches avec la personne sans pour cela prendre la place de la famille ou des amis.

  • Solliciter de l'aide en cas de difficultés et ne pas « subir » des situations douloureuses.

Conclusion

La distance professionnelle est à la fois un savoir-être et un savoir-faire qui permettent de se protéger des risques inhérents au métier. La juste distance professionnelle est également une sorte de « sécurité psychologique » pour le bénéficiaire.